Mille carrières, un labo

7 juillet 2021

Le parcours d'une curieuse infatigable

Interview de Suzanne Jacomet, Ingénieure, Microscopie Electronique à Balayage, CEMEF
réalisé le 6 mai 2021
 
 
Le départ à la retraite de Suzanne Jacomet s'annonce et nous ne pouvions pas la laisser partir sans qu'elle nous raconte son parcours, sa vie au CEMEF : 44 ans au service de la science, de la formation et des doctorants !
 
 
Suzanne Jacomet fait partie des personnalités de ce labo. Arrivée aux débuts sophipolitains du centre, elle y a fait toute sa carrière. C’est en février 1977 qu’elle est recrutée par Pierre Avenas, Directeur CEMEF, qui avait emmené les troupes parisiennes vers Sophia Antipolis. Après des études de mathématiques et sciences physiques à la Faculté de Nice, elle envoie sa candidature spontanée. Elle sera embauchée, d’abord sur Armines, un an, avant de passer le concours de technicienne de laboratoire sur statut public. 
 
 
Ses débuts : la plasticine, un merveilleux apprentissage
 
« J’ai appris des choses pendant toute ma carrière »
 
Je suis arrivée, je ne connaissais absolument rien en mise en forme des matériaux. J’ai commencé par travailler en plasticine avec Jean Duriau, le responsable BEAS (MEA actuellement). Le laboratoire de plasticine était important. Il était installé au rez de chaussée du bâtiment C, il s’étendait sur toute la façade ouest du couloir.
 
Ce fut d’une pédagogie formidable. On faisait un travail qualitatif avec des pâtes à modeler de couleurs différentes pour visualiser les écoulements. On utilisait  des maquettes de machines réelles des procédés tels que laminage, filage, forgeage, pour mettre en forme les lopins. Les premières années, je travaille avec les doctorants : Henri-Jean Braudel (thèse en 1981) ; Pedro Vera-Castillon notre ami chilien (thèse en 1981) ; Marie-Claire Estivalet, (thèse en 1982) 1ère doctorante du CEMEF !
 
Il faut se rappeler qu’à l’époque, il n’y avait pas encore les PC. On disposait d’un gros ordinateur de calcul à cartes perforées au sous-sol du bâtiment B. Pour faire des mesures quantitatives de déformation, il fallait tout faire à la main : prendre les mesures à la règle, taper les cartes pour les donner à la machine qui nous sortait des immenses listings qu’il fallait dépouiller pour pouvoir tracer les courbes et les cartes de déformation. On n’obtenait pas les résultats comme cela, il y en avait des étapes avant de les avoir !
 
 
En haut à gauche, pièce réelle, à droite, pièce simulée en plasticine. En bas à gauche, résultats après mesures de déformation plasticine. A droite, calcul Forge2
 
 
Avec les évolutions informatiques, les mesures quantitatives deviennent plus faciles et au milieu des années 80, la plasticine sert à valider les modèles numériques de Forge2, (thèse de Gilles Surdon – 1986). La dernière étude plasticine date des années 2000, avec la thèse de Jean-Manuel Ruppert (thèse soutenue en 2002). Nous avons travaillé pour la validation 2D et 3D du filage de soupape et sur les aubes de compresseur d’avion. 
 
 
Plasticine, métallographie, analyse d’images, la triple casquette
 
Durant les années 80, l’activité plasticine était d’intensité  inégale, ce qui me laissait un peu de temps pour aller voir, par curiosité, ce que les jeunes chercheurs, faisaient aussi en métallographie. C’est ainsi  que j’ai proposé de les aider en préparant les échantillons. Début 80, je débute avec Christian Perdix sur l’aluminium ; Gilles Regazzoni sur le cuivre et le tantale, (thèses en 1983), puis Yves Combres sur les alliages de titane et de Nickel (thèse en 1988). Michel-Yves Perrin ingénieur responsable permanent de cette activité, m’a formée et j’élargis mes compétences à l’observation et l’analyse des microstructures en microscopie optique et micro-dureté. Là encore, avec l’avancée de l’informatique, on voit arriver les premiers programmes d’analyse d’images. Le CEMEF acquière le logiciel Visilog sur lequel le centre de Morphologie Mathématiques de l’école participe. Je le prends en main au côté des doctorants, Herbert Grazini et Christian Dumont (thèses en 1991).
 
L’activité est lancée, je vais en assurer le suivi, le développement et la formation des nouveaux utilisateurs. Pendant les années 90, je partage mon temps entre ces  trois activités. Fin 90, on fait l'acquisition du logiciel de corrélation d'images "Aramis" (devenu Vic3D chez Christophe Pradille), maintenant) pour les besoin des études en cours, (Cf. thèse de Robert Knockaert – 2001) . Je suis désignée par Jean-Loup pour prendre en charge cette activité également. Je me forme et j’assure la mémoire des études dans ce domaine jusqu’en 2005.
 
Les années 2000, le tournant
 
Concours de circonstances ? On pourrait le croire mais avec le caractère de Suzanne, toujours prête à s’investir dans de nouvelles aventures, on se dit que qu’elle aurait évolué quelle que soit la situation.
 
En 2005, l’arrivée de Bernard Triger, technicien de la DRIRE, redistribue les cartes. Il est intéressé par la métallographie. Je le forme et de mon côté, j’ai envie d’autre chose. Depuis le début des années 2000, l’EBSD (technique d’analyse associée à la microscopie à balayage) prend de l’ampleur. Michel-Yves Perrin qui en a la charge au CEMEF, m’initie en prévision de son départ à la retraite, en parfait accord avec mes supérieurs hiérarchiques. En 2005, je consacre de plus en plus de temps au MEB. 
 
Cette même année, une platine chauffante innovante, conçue et développée par Alain Le Floc’h et l’équipe MEA, est finalisée.  On peut voir les évolutions microstructurales pendant le traitement thermique « in situ » dans la chambre du MEB. C’est passionnant, car les caractéristiques de cette platine place le CEMEF en leader en France. Je m’investis dans les protocoles de montage des échantillons, les tests de faisabilité ; les essais sont validés avec les thèses de Marie Houillon (2009) et Benoît Gaudout (2009). Nathalie Bozzolo arrivée à cette période, participe à la valorisation scientifique de cette innovation avec la parution des premières publications en ce domaine.  J’assure ensuite les différentes missions : développement, assistance aux étudiants et suivi des études. Je me laisse aussi très agréablement entrainer par Monique Repoux dans les colloques du GNMEBA et les écoles d’été qui complètent ma formation en MEB. A son départ  à la retraite en 2009, je reprends la totalité des activités MEB sur matériaux non métalliques et métalliques et les techniques d’analyse qui y sont associées EDS et EBSD. 
 
 
Carte EBSD d'alliage de Titane

 
Au début, je gérais un seul MEB (le XL30 démonté cette année). Puis, sont arrivés : le SUPRA40 (2010), le FERA3D (2018) dont je me suis occupée avant l’arrivée d’Alexis Nicolaÿ sur le poste, enfin le MAIA (fin 2019). Pendant toutes ces années, j’ai assuré la formation des utilisateurs (une cinquantaine par an), les observations ponctuelles (des aérogels, aux alliages métalliques), les expertises pour les extérieurs (labos académiques et industriels), et les relations avec les constructeurs. 
Mais ce n’est pas tout !
 
On pourrait penser que les activités de Suzanne s’arrêtent là, ce qui serait déjà largement bien. Mais non, Suzanne s’investit également dans les questions sociales.
 
Je suis entrée dans l’action sociale un peu par hasard. Le ministère de l’industrie m’appelle un jour : mon nom a été tiré au sort pour participer aux CAP (car il n’y avait pas de candidat sur  les listes syndicales de ma catégorie). J’accepte la mission (dans le milieu des années 90), j’y fais de belles rencontres notamment Françoise Di Rienzo. Au labo, Alain Le Floc’h représentant CFDT m’entraine dans les diverses commissions de l’Ecole en qualité de suppléante. Je découvre l’ampleur de l’institution, je m’investis de plus en plus et devient titulaire. J’avoue que cela m’a permis d’acquérir une connaissance de l’école et son fonctionnement que je n’avais pas du tout. Cela a été une ouverture très intéressante. 
 
Une carrière inspirante 
 
« Ma carrière s’est construite principalement autour des doctorants ».
 
En qualité de permanente, je me suis attachée à « capitaliser les connaissances » qu’ils développent durant leur court passage au CEMEF, pour les enrichir et les faire évoluer, afin de les faire passer aux nouveaux.
 
Des besoins particuliers d’études scientifiques m’ont permis de découvrir de nouveaux horizons et de nombreux interlocuteurs internes et externes passionnants. Je pense à mes collègues de l’Observatoire de Nice, du CEPAM mais il y en a plein d’autres qui m’ont donné l’occasion de travailler dans des champs d’applications très éloignés de ceux du CEMEF. Cela m’a apporté satisfaction et enrichissement. J’ai passé 44 ans au même endroit mais je n’ai jamais ressenti de routine. J’ai eu une carrière qui n’a pas été figée, j’ai évolué et appris sans cesse.
 
Si j’ai un conseil à donner : soyez curieux, sortez de vos habitudes, ne vous enfermez pas dans la routine, allez voir ce qui se fait dans le bureau d’à côté.
 
Je dois ajouter que j’ai également eu de la chance de pouvoir progresser sur le plan statutaire, jusqu’à la fin de ma carrière. En 2005, je me lance dans une VAE avec l’université de Nice-Sophia Antipolis, qui me permet d’obtenir un diplôme de Master 2 en avril 2007. Et, cerise sur le gâteau, un poste d’ingénieure de l’industrie et des Mines fin 2007.
 
Mon CEMEF ressemble à cela :
 
  • L’enthousiasme des jeunes doctorants 
  • Des possibilités d’évoluer sans cesse
  • Des contacts privilégiés avec tous
 
Et après ?
 
Je vais prendre « du temps pour moi » pour lire, faire les activités physiques et manuelles que j’aime, m’occuper de ma petite fille. 
 
Nous ne pouvons terminer qu’en remerciant Suzanne Jacomet pour tout ce qu’elle a apporté au CEME, à ses collègues et aux étudiants qui ont eu la chance de la côtoyer. Merci à elle pour sa constante bonne humeur, son enthousiasme qui n’a jamais faibli, sa disponibilité sans failles. Sa curiosité et sa passion vont maintenant s’épanouir dans de nouveaux horizons que nous lui souhaitons très heureux.  
 
 
 

 

 

 

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